J'ai plusieurs cordes à mon arc : mère épuisée mais comblée (de Pti Tonique 3 ans et l'Iroquoise 16 mois), rédactrice Web indépendante, squaw libérée, concubine intermittente (quand il nous reste 5 min), cuisinière de trucs rapides qui prennent toujours plus de temps que prévu, écrivaine à la plume de vautour, chevaucheuse de bisons dans les plaines autour de Lyon.
Tout à l’heure, en consultant mes stats, je suis retournée sur le billet de Mère Bordel que j’avais commenté, concernant sa vision du traitement par M6 des mères « au bord de la crise de nerfs ».
Je n’ai rien à dire sur cette émission parce que je ne l’ai pas vue, parce que je ne savais même pas qu’elle allait être diffusée. Parce que dans la grille des programmes, je ne cherche que des trucs distrayants, aucunement de l’information, c’est un choix. Tout ce qui est reportage (a fortiori racoleur), télé-réalité, pseudo-débats (l’inanité des « débats » politiques me laissera toujours perplexe), ça me passe complètement au-dessus. Je m’informe autrement (à savoir plutôt sur Internet) et lorsque j’ai un peu de temps le soir, je préfère regarder des séries avec Mr Sioux. Et je le vis bien.
Tout ça pour dire que ça ne m’empêche quand même pas de cogiter.
Et ce sujet des « mères au bord de la crise de nerfs », forcément, ça me parle malgré tout.
Ca me parle d’abord parce que la maternité, après m’avoir émue aux larmes lorsque mon tout petit bout a été posé sur mon ventre, m’avoir enlevé tous les mots de la bouche en tentant de décrire sa perfection et l’élan d’amour incomparable qui m’a assaillie, je me la suis prise en pleine tête les premiers mois.
Que l’on ait un BABI ou pas, c’est un bouleversement (doux euphémisme) auquel rien ne prépare… et auquel rien ne peut préparer. C’est en tous cas mon impression.
Combien de fois, durant ma 1ère grossesse, de jeunes ou moins jeunes parents (jusqu’au vendeur de notre nouveau monospace rutilant !) nous ont sorti la phrase fatidique « vous verrez, ça change la vie ! ». Ce à quoi nous avions appris à sourire et à hocher la tête poliment, nous disant intérieurement « Putain mais les gens radotent, ils sont lourds… ils ont rien de plus intéressant à dire ?! On s’en doute bien quand ça sera plus comme avant, merci pour le scoop ! ».
La phrase fatidique qui part certainement d’une bonne intention mais qui n’a finalement aucun impact. Parce que comment expliquer avec des mots, ce qui attend des personnes n’ayant jamais connu la forme et la puissance de l’amour qui va les engloutir, l’angoisse qui va les tenailler jour et nuit à tout jamais, la douleur de ne pouvoir soulager ce qui nous est le plus cher au monde, la détresse générée par le manque de sommeil, par le sentiment d’impuissance et d’incompréhension, par le manque de repères, le tiraillement entre la certitude de savoir ce qui est le mieux pour notre enfant tout en cherchant à se raccrocher à l’expérience des autres pour se sentir moins seul… mais tout en rejetant leurs expériences parce qu’on veut apprendre les choses par soi-même et que l’on est persuadé que rien ne pourra s’appliquer vraiment à notre propre relation parent-enfant.
Je pourrais faire un paragraphe de plusieurs kilomètres que je n’aurais pas encore mis le doigt sur ce que j’essaie de retranscrire.
Quand je repense aux fameux trois premiers mois de l’enfer (pour moi), je ne saurais pas dire ce qui pourrait être changé pour que je parvienne à les revivre plus sereinement. J’ai le sentiment que cette première expérience de la maternité ne peut qu’être violente et difficile. Que personne ne peut se mettre dans nos baskets, personne ne pourrait nous soulager vraiment.
Personne n’aurait pu m’empêcher de me ruer vers le berceau au premier chouinement, dans l’angoisse que mon fils, resté 2 secondes de trop avec sa détresse, éprouve un sentiment profond d’abandon que je n’aurais plus été capable d’endiguer. Quand bien même on m’en aurait empêchée, avec force arguments logiques et raisonnés (« attends une minute, il va peut-être se rendormir », etc), je n’en aurais éprouvé que davantage d’angoisse et de souffrance.
Je ne peux pas dire que j’ai été lâchée par mon entourage. Ma mère m’a maintes fois proposé de venir m’aider ou ne serait-ce que me tenir compagnie. Mon père me disait qu’il me trouvait presque l’air « déprimée ». C’est dur quand on vous sort (maladroitement, pour susciter une réaction ?) que tout ça n’a pas l’air de vous épanouir franchement. C’est même super violent et ça n’est pas ce que l’on a envie/besoin d’entendre. Alors que l’on tente, de toutes nos forces, de faire ce qui nous semble le mieux pour ce petit être dépendant et démuni, alors que l’on agite les bras en tous sens pour ne pas couler, pour donner le change et sourire aux visiteurs qui vous disent qu’il a l’air « bien sage » (les visiteurs passent toujours pendant le seul moment de la semaine où bébé a décidé de dormir paisiblement dans son berceau/transat), pour avoir l’air de gérer avec ravissement ce que l’on a tant voulu… et obtenu !
Avec Mr Sioux, nous étions des paniqués de l’ « envahissement », parental plus particulièrement. A la maternité, nous avions annoncé que seuls les grands-parents (et nos frères et sœurs s’ils étaient dans le coin, car nous sommes éclatés géographiquement) pourraient venir, avec embargo de 2 jours non négociables après l’accouchement. On se met les barrières qui nous rassurent, qui nous donnent le sentiment de maîtriser la situation, de la gérer en adultes et en « nouvelle famille » autonome. Puis à la maison, pas question non plus de voir les parents ou beaux-parents s’installer plusieurs jours.
Puis j’ai fini par dire à Mr Sioux que j’allais autoriser ma mère à venir passer quelques jours (« mais pendant la semaine, comme ça tu seras au travail, ça sera un « moindre » envahissement et on sera quand même « tranquilles » le week-end venu ») parce que vraiment, je n’en pouvais plus et que de toutes façons, elle me laisserait faire avec mon fils mais elle pourrait m’aider pour la maison et me faire à manger (je n’arrivais à faire que 2 repas par jour à l’époque… et encore !)… et ça a été une mini révélation ! Ne serait-ce qu’avoir de la compagnie, ne pas être seule face à un nourrisson qui paraissait sans cesse en colère (ou souffrant… merci les coliques) et demandait sans cesse à être promené dans les bras, en long en large et à travers la maison, ça faisait du bien !
Et tenir un bonheur fragile et piquant entre ses doigts...
Malgré tout, ils ont été longs ces 3 premiers mois… La suite également, reprendre le travail avec un nourrisson qui se réveille encore plusieurs fois par nuit, le confier à garder, devoir se coucher tous les soirs à 21h30 parce qu’il ne s’endort qu’au sein et contre sa mère, ne plus avoir de soirée, manger des plats surgelés Picard tous les soirs, et reprendre le travail le lendemain sans avoir eu le temps de s’asseoir 2 min pour contempler sa vie, tout ceci dans un tourbillon dont on n’imagine pas la fin, malgré les phrases des « gens », qui osent vous sortir (à se demander s’ils ne sont pas passés par là ?!) « oh mais tu verras, ça ne dure pas longtemps, c’est le début ça ! »… mais justement, c’est bien pour ça que c’est si dur et que ça ne doit pas être banalisé : PARCE QUE c’est le début ! Les premiers pas dans la parentalité, la découverte d’un univers parallèle fait de gazouillis, de parents cernés mais fondus, d’épuisement physique et moral et d’amour débordant, d’une somme infinie de petits moments hors du temps que l’on souhaiterait saisir pour l’éternité… tout en souhaitant que celle-ci ne soit pas trop longue !
Je pense avoir un peu perdu le fil de départ de cet article mais ce qui me questionne profondément aujourd’hui, c’est : comment aider les mères en détresse ? Qu’est-ce qui, moi, m’aurait aidée à vivre ces 3 premiers mois (et un peu aussi les 3 suivants… au moins !) dans un état d’esprit et de nerfs plus gérable ? Plus je réfléchis et plus je me dis : RIEN.
[Ou peut-être que si j’avais découvert les blogs de maman et leurs témoignages, tous différents mais si vrais, pendant ma grossesse… Mais ça, je ne le saurais jamais, bien sûr.]
J’admets, c’est déprimant ce que je dis. Mais quand je regarde en arrière, je réalise plusieurs choses :
Faut-il pour autant ne rien faire, ne rien dire ? Bien sûr que non ! [quand je parle de ne « rien dire », je pense davantage à des échanges ouverts et posés entre parents et futurs parents qu’à des émissions télé]
Moi la première, j’essaie (parce que l’être humain ne peut s’empêcher d’ « essayer quand même » semble-t-il, il ne s’avoue jamais vaincu !) de faire passer le message aux futures mères qui m’entourent. Mais comment expliquer sans paraître dramatiser, sans briser l’état de félicité dans lequel sont plongées certaines femmes enceintes (et dont elles ont bien raison de profiter), sans paraître s’immiscer dans l’intimité des ressentis de la femme, de son couple, comment savoir s’ils ont vraiment envie de « savoir » et si, de toutes façons, le message aura une véritable portée (même limitée) ? Comment ne pas passer pour une mère hystérique, raconter son expérience et d’autres que l’on connaît, sans passer pour une femme aigrie ou qui n’a pas aimé assez fort son enfant pour surmonter ces « détails » avec joie et les oublier aussitôt franchis ?
J’ai l’impression que l’on pourra peut-être « soulager » (aide physique, écoute) une jeune maman en détresse mais jamais vraiment lui éviter de passer par ces « affres » des débuts. Je n’irai pas jusqu’à dire que ça a une utilité parce que je ne veux pas choquer et que je ne me souhaite vraiment pas de revivre ces débuts chaotiques une 2e fois MAIS cette plongée me paraît inévitable. Avec une puissance mesurée et en étant le plus possible soutenue (entourée d’alloparents par exemple), c’est cela qui semble nous faire mères / pères.
[comme toujours, arrivée au bout de ma réflexion, j’ai l’impression de ne pas avoir réussi à exprimer la moitié de mon idée de départ et d’avoir perdu le fil mais bon, si j’étais trop exigeante avec moi-même, je ne publierais plus rien !]